Qui va oser réagir?
Sur une perception confuse de ne pas mettre dans leur caddie
les denrées qu'ils espèrent, en raison d'une production intensifiée qu'ils
sentent facteur de diminution de la qualité, et sur le souvenir du goût
perdu des plats que leur cuisinait (mijotait) leur maman, nos compatriotes
ont été bombadés depuis la création de l'AFSSA de toutes sortes de communiqués,
d'alertes, de retraits de la consommation médiatisés comme il n'est pas
imaginable. Il s'est établi dans leur esprit une situation d'inquiétude,
pour ne pas parler de psychose, sur la qualité, puis sur la sécurité de
ce qui arrive dans leurs assiettes.
Pour mémoire, et si vous le désiriez je pourrais détailler,
depuis janvier 1999, ils ont "enduré" au moins vingt alertes
à la listeria sur les fromages au lait cru (époisses X, camemberts Bertand,
Lepetit, Domaine de Saint-Loup, Saint Félicien, Munster de chez Haxaire,
Maroilles de je ne sais plus qui, Livarot de je ne sais plus où, Mont
d'Or, Raclette, etc, etc...Puis ils ont "épuisé" le feuilleton
des poulets et des oeufs à la dioxine qui a en fait touché, sans faire
aucune victime, essentiellement la Belgique, mais qui a été largement
amplifiée par ce qui se passait en réalité chez nous du fait de l'existence
en Eure-et-loir d'une filiale d'une société belge ayant reçu un seul camion
de graisse incriminée en provenance des fournisseurs accusés la-bas et
dans les aliments duquel on n'a finalement pas trouvé de déchets toxiques.
Mais cela été à l'origine d'une crise très grave du poulet dans notre
pays.
Puis il y a eu le fameux feuilleton du coca glacé, "toxique",
dont des écoliers belges s'empiffrèrent un jour de canicule, au point
d'en avoir mal aux tripes et qui a abouti à la fermeture de l'usine d'embouteillage
de Dunkerque, pendant je ne sais combien de semaines, sans qu'on n'ait
finalement pu apporter d'explication sérieuse à un incident logique quand
on boit trop d'un breuvage trop glacé un jour où il fait un peu trop soif
!
Passant sur l'épisode de l' "éventualité d'interdire"
la commercialisation des huitres des parcs menacés de pollution à la suite
du naufrage de l'Erika quelques jours avant Noël, nous avons eu droit
à la rocambolesque "bouffée épidémique de listériose", du début
de l'année sur des rillettes, bientôt remplacées par des "langotines"
de porc, pour se terminer par un non-lieu discret le 25 mars, où on nous
a annoncé la fin officielle de l'épidémie qui avait fait une dizaine de
morts, dont 5 prématurés ou avorton de moins de 6 mois de grossesse, et
quelque greffé du coeur ou du rein sous traitement immuno-dépresseur.
L'affaire de la vache folle en cours aurait dû n'être qu'un
non-évènement, n'avaient été les agissements de l'administration, de la
justice et des médias qui ont mis en place les ingrédients d'une mayonnaise
qui est passée par dessus les bords du récipient dans lequel on la préparait.
Les conséquences en sont catastrophiques pour l'élevage de notre pays,
une partie essentielle de ce qu'il est coutume de considérer comme "notre
pétrole vert". Les Français se voient, après la destruction de la
moitié de leur patrimoine fromager au cours des dix-huit mois écoulés,
condamnés à l'absentéisme volontaire de consommation de bifteck (beefsteack
pour les étymologistes), après avoir été interdits de saucisson à l'ail
embossé dans un boyau naturel de boeuf hexagonal, puis de ris et de tête
de veau, d'entrecôtes à l'os et de T-bone steack au principe (exacerbé)
de la précaution de ne pas attraper une maladie encore très hypothétique,
pour l'incidence de laquelle les Cassandre auront toujours raison, qui
prévoient pour l'Angleterre entre 63 et 500.000 morts de la nvMCJ, dans
ce pays où en 1992 on dénombrait 100 cas cliniques d'ESB (ou plutôt de
BSE) par jour (alors que nous en sommes à moins de 100 cas par an, si
l'on excepte les "trouvailles" des examens en cours sur les
animaux morts ou euthanasiés, dont on peut toujours contester l'opportunité
et le bien-fondé!).
Nous vivons dans un pays de gens qui marchent sur la tête,
trouble qui a des conséquences imprévibles sur l'état psychique de ceux
qui sont affectés de cette particularité. Ajoutons-y le manque de courage
politique de dirigeants qui ne pensent qu'à refiler le mistigri de la
décision à des "scientifiques" qui ont formé petit à petit un
"groupthink", une pensée unique, attachée à une doctrine officielle
et qui écarte du raisonnement les données qui ne sont pas en concordance
avec l'opinion "actuelle", avec un comportement de pétochards
qui ont la phobie de se trouver dans une sale histoire du type "sang
contaminé". Leur érudition devrait pourtant les rassurer que l'histoire
ne se répète jamais.
Quand j'entends certains discours, je me crois plongé dans
l'obscurantisme de l'époque où Pasteur combattait le "spontanéisme"
avec les conséquences qui en découlèrent. Car il doit bien y avoir une
autre explication à la "spontanéité" de l'apparition des prions
pathologiques dans notre conception actuelle du déterminisme de la "reproduction".
Il faut que nos politiques retrouvent le sens des responsabilités,
prennent des risques de se tromper de bonne foi, ne se réfugient pas dans
la "précaution", pas plus que dans une "transparence angélique".
La foule a besoin de sécurisation, de "paternalisme", parce
qu'elle ne sait, ni ne peut juger sereinement de situations dont elle
ne perçoit la réalité que par un tout petit (tout petit-petit !) bout
de la lorgnette.
L'inquiétude actuelle des consommateurs, tant à cause de
la vache folle que des listeria et autres trucs, qui confine certes parfois
à la paranoïa, très augmentée par les médias, relève du fait que "nous
sommes ce que nous mangeons" en vertu du principe (non pas de précaution
!!), mais de celui de la "pensée magique". En effet, rien n'est
plus intime qu'un aliment, c'est le seul objet extérieur à pénétrer ainsi
en nous et à se transformer en nous, à devenir nous.
Nous n'absorbons pas seulement des protéines, des lipides,
des glucides, etc..., mais aussi, que nous le voulions ou non, que nous
en soyons conscients ou non, les symboles, les images attachés à chaque
aliment et que nous nous approprions alors. C'est ce qui explique, par
exemple, l'idée que manger de la viande, et surtout de la viande rouge,
rend fort.
Les ethnologues ont bien étudié cela chez des populations
primitives. Certaines formes de cannibalisme relèvent de ce même principe
: on mange le coeur et la chair de l'ennemi que l'on a occis pour qu'il
vous transmette sa force et sa bravoure. Malgré notre évolution, nous
portons encore en nous ce principe d'identification, d'appropriation des
pouvoirs bénéfiques ou maléfiques d'un aliment.
C'est probablement ce qui explique, entre autres, cette
paranoïa à propos de l'épidémie de la vache folle. Chacun - y compris,
évidemment, les journalistes - exprime ainsi sa peur, son angoisse. Cet
aliment, le boeuf, porteur depuis des millénaires, d'une image positive,
bénéfique, devient brutalement dangereux. Aucun raisonnement logique ne
peut aller contre cela. Raison de plus pour essayer de dédramatiser en
faisant assaut d'un peu de bon sens.
Le nouvel épisode du feuilleton sur la maladie de la vache
folle est malheureusement symptomatique de l'état de l'opinion, chauffée
il est vrai par la dérive médiatique qui accompagne tout dérèglement de
procédures semblant à peu près en place et capables de circonscrire les
risques inhérents à une de nos tares congénitales : notre besoin de manger.
Et ce n'est pas en revenant à l'alimentation de nos ancêtres
à base de racines de plantes sauvages, de graines et de fruits résultant
d'une cueillette aléatoire, complétée par la capture accidentelle d'une
bestiole comestible, le tout consommé à l'état cru, qui pemettra aux hommes
de ne plus craindre les risques résultant de l'incorporation dans notre
être de corps étrangers, que seule une expérience millénaire a permis
de considérer comme inoffensifs pour notre vie et notre santé.
Car quel risque pouvait-on craindre à avoir mangé de la
viande que Carrefour a fait rapporter à ses étals, avec la complicité
active des chaînes de radio et de télévision publiques et privées??? Objectivement
et sans risque d'être jamais démenti, AUCUN.
On a "euthanasié" une bestiole, qui apparemment
n'a été en contact avec ses congénères d'infortunes, au pire que quelques
jours au pré, au mieux quelques heures dans une bétaillère. On a procèdé
aux examens : cela demande seulement quelques heures pour avoir confirmation
d'une suspicion qui sera confirmée sous quelques jours (?) par un labo
de l'AFSSA situé à Lyon.
Notez bien que l'animal sur qui pèsent les présomptions
n'est pas entré dans la chaîne alimentaire. Sa carcasse a été saisie et
on (qui?) a procédé au prélèvement de la partie de la moëlle épinière
prévu en pareille circonstance. Le problème, pour les fonctionnaires trop
zélés de la DGAl, c'est que la trop célèbre 13eme vache a passé toute
son existence en compagnie de douze autres laitières sur des pâturages
à la lisière d'un bois, et que onze des animaux du cheptel ont été abattus
six jours auparavant sans avoir donné lieu à quelque remarque que ce soit.
Et leur viande est passée, je simplifie, dans le mélange qui a servi à
fabriquer des hamburgers, dont certains ont été livrés à Carrefour quelques
heures plus tard.
Panique au bureau. Sans même attendre la confirmation du
diagnostic d'ESB par le laboratoire de l'AFSSA à Lyon, seul habilité pour
confirmer ou infirmer la suspicion, la DGAl demande à SOVIBA de procéder
au retrait de la viande provenant de ces animaux abattus la semaine précédente.
Une première !
Ce n'est pourtant pas la première fois qu'un animal suspecté
provient d'une exploitation dont le propriétaire a vendu un animal manifestement
sain la semaine précédant une telle découverte, et je n'ai jamais entendu
dire que la viande de ces animaux ait fait l'objet d'un retrait de la
consommation. On comprend aisément qu'une telle procédure soit évitée
pour ne pas affoler inutilement les consommateurs.
Pas assez précautionneux sans doute, ou pas du tout au courant
de ce qui se tramait dans l'officine du marchand de bestiaux de Beuzeville,
les "vétérinaires" préposés ont laissé partir à la consommation
les 5 ou 6 animaux qui ont été en contact avec la malade. Si j'étais à
leur place, je me ferais du souci. D'ici à ce que la justice les souçonne
de complicité avec le marchand de bestiaux, ou d'un laxisme qui joue avec
la santé du public, ou d'un bon sens qui n'est pas excusable en pareilles
circonstances, il n'y a qu'un pas qu'elle pourrait bien franchir. On ne
sait jamais. Avec la diligence avec laquelle on claironne à tous vents
la culpabilité d'un individu qui est le seul à pouvoir s'expliquer et
qui, jusqu'à présent, ne s'est exprimé que par la bouche de son épouse
ou de sa belle fille, on peut s'attendre à tout.
Mais c'est là que les décisions de ceux qui doivent décider
et le relai par les médias donnent la mesure de l'absurdité en cours.
Que l'on coffre le supposé responsable, passe... et encore. Que l'on fiche
la panique en demandant aux petits vieux de ramener leur steack haché
sous l'argument de la précaution de ne pas leur faire attraper une maladie
qu'ils risquent d'incuber pendant les 30 ou 40 années à venir est grotesque.
Car dites-moi quel risque court le quidam qui a absorbé ses 200 grammes
de boeuf acheté la semaine passée dans une des diverses enseignes de Carrefour
? A la lumière de ce que l'on croit savoir aujoud'hui, aucun.
Ou plutôt si : quelque milliardième de milliardième de...
malchance !
Car sur ces animaux, on a procédé au prélèvement précautionneux
du cerveau, de la moëlle épinière, du reste éventuel de thymus, de la
rate et de tout l'intestin grêle des compagnons d'infortune de notre acteur-vedette,
duodénum, jejunum et iléon compris, au grand émoi de quelques salaisonniers
bientôt ruinés, et des amateurs de fraise et de ris de veau qui, bien
que l'on sache depuis belle lurette que l'on n'a jamais constaté d'infection
d'un quelconque jeune animal par le lait de sa mère, se voient privés
de leur plat favori, un des fleurons de la gastronomie de notre Sud-Ouest,
pourtant fertile en ces sortes de délices.
Notez bien l'absurdité de la chose : on saisit la fraise
d'un animal, dont on sait qu'il n'a pratiquement aucune chance d'avoir
jamais mangé de farines animales, à présent exemptes de risque d'ailleurs,
alors qu'on a fait les corrections nécessaires pour les traîter, qui ne
peut pas avoir été contaminé par le lait qu'il a tété directement à sa
maman, dont on ne sait encore pas s'il pourrait éventuellement avoir été
contaminé dans le ventre de sa mère pendant la gestation, et qui n'a pas
eu le temps d'être contaminé lors de la fréquentation des adultes du troupeau,
puisqu'on n'a, à ma connaissance, jamais trouvé de cas de contagion directe
d'un animal à un autre.
Cela ne trouble pas Martin Hirsch, dont on devine la compétence
en matière de maladies des animaux, énarque campé sur les incertitudes
et les hésitations de ses experts. Il n'y va pas avec le dos de la petite
cuillère et "précautionne" tous azimuts.
C'est tellement plus facile de refiler le mistigri aux voisins!
Je gage que Glavany en a avalé son chapeau et que Monsieur Jospin a arbitré
en faveur des positions de Marylise Lebranchu : on n'en est pas à une
incompétence près. Quant au bon sens, ???
Laissez donc faire et vous serez tôt interdit de viande
rouge, car je vous garantis que, tôt ou tard, il va bien se trouver un
occupant d'un obscur laboratoire d'un coin perdu de la planète pour trouver
des prions dans les ganglions de l'aine ou de l'aisselle. Madame Brugère-Picoux,
qui lit tout ce qui s'écrit sur le sujet aura tôt fait de le rapporter
à l'occasion de l'une des fréquentes interventions qu'on lui demandera
de faire à l'écran à ce moment-là. Et alors là, je ne vois de salut pour
les amateurs d'entrecôtes que dans la prohibition et l'abatage clandestin
d'animaux qu'il aura fallu soustraire dès avant leur naissance à la sagacité
d'un corps d'inspecteurs vigilants chargés de faire disparaître le prion,
"pathogène" parfois allez savoir pourquoi?, de la surface de
l'hexagone.
Et il ne me restera guère d'alternative quand il me faudra
satisfaire mes envies de T-bone ou d'entrecôte à l'os. Si ce n'est d'aller
prendre le "ferry-boite" à Dieppe pour traverser la Manche.
De l'autre bord au moins, il n'y aura pas de risque !
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