La crise
Dans le matin blème de l'un des derniers jours qui nous
séparent des premiers frimas, je ne puis m'empêcher de "ruminer"
les événements qui nous ont conduit à la "crise de la vache folle"
dont, près de six semaines après son déclenchement, notre actualité est
encore pleine, sursaturée devrais-je dire.
Non contents d'avoir rempli nos écrans, nos ondes et notre
courrier électronique des déboires de la filière bovine française et disserté
trop longuement sur l'éventualité de la catastrophe sanitaire qui menace
les centenaires que nous sommes condamnés à devenir bientôt, voilà que
nos reporters en mal de copie et les éditorialistes moralisants de l'actualité
nous livrent en vrac faits, commentaires et leçons que leur inpirent les
péripéties du développement de "l'épidémie" en devenir, cette
terrible maladie due à ce nouveau variant de prion responsable de la maladie
de Creutzweld-Jacob, cette toute dernière fantaisie de la vie moderne,
la peur de l'an deux mille, dont l'Europe entière serait menacée en raison
de la négligence de quelques politiques qui auraient tardé à tirer la
sonnette d'alarme.
Ces délires de la loghorrée ont donné lieu à quelques-uns
des raccourcis les plus "abracabra-dantesques" qu'il m'ait été
donné d'entendre dans ma longue carrière de praticien, spécialiste de
l'alimentation animale et de la physiologie, discipline dont la connaissance
est indispensable à l'établissement d'un régime alimentaire approprié
pour une espèce animale déterminée. Pour l'homme aussi, ce qui ne semble
pas souvent le cas quand j'entends les énormités qu'articulent mes voisins
quand ils rapportent les conseils diététiques de leur médecin pour la
composition de leur "régime" ! Ma mémoire est incapable de les
rapporter tous, mais le "vaches carnivores" en est l'un des
fleurons, dont j'espère que la postérité le retiendra. Mais l'entendre
de la bouche de Jean-Pierre Elkabbach dans une question qui se voulait
dérangeante à l'adresse d'un Glavany encore endormi, tout juste sorti
d'un marathon agricole, dont l'issue s'apparentait plus à un Waterloo
qu'à un Austerlitz, me semble relever de la provocation gratuite et inutile.
Hier, j'ai appris que la Grèce, qui produit chaque année
environ 10.000 tonnes de farine d'origine animale sur son sol, en avait
consommé, en 1998 si ma mémoire est bonne, 29.000 tonnes pour les propres
besoins de son industrie de l'alimentation animale, en avait exporté 200.000
tonnes vers les pays de l'Europe Centrale et Orientale ainsi que vers
la CEI, et 18.000 tonnes vers l'Afrique. Les "trafiquants" belges
qui n'en ont écoulé pendant ce temps que quelque 80.000 vers l'ensemble
de l'Europe ont dû être terriblement dépités d'apprendre qu'un tel pactole
leur soit passé sous les moustaches !
J'ai aussi appris qu'en 1999 nos industries de la viande
avaient "fabriqué" 2,8 millions de tonnes de "coproduits"
d'origine animale, à comparer avec les 577.000 tonnes de matières qu'il
a fallu détruire : cadavres, saisies d'abattoirs et du commerce, matériaux
à risques spécifiés retirés sur les carcasses avant leur commercialisation.
Ces coproduits sont la conséquence logique des méthodes modernes de commercialisation
des viandes et de leurs dérivés, et sont donc à l'origine exclusive de
la fabrication des farines et des graisses animales, dont on vient d'interdire
l'utilisation, contre toute logique, dans les aliments pour porcs, volailles
et poissons, ce qui ne présentait aucun risque pour le consommateur et
se trouve être la voie "inoffensive" et la seule logique du
retour de ces éléments au milieu originel, sans risque aucun, ni pour
nous, ni pour nos descendants. Il est invraisemblable que personne ne
se soit levé pour expliquer à tous ces paniqués et à tous ces pétochards,
que ces trop fameuses farines n'étaient pas des créations monstrueuses
concoctées par de sataniques marmitons dans des officines plus que suspectes,
mais les reliefs de leurs repas quotidiens, dont on les avait débarrassés
pour qu'ils n'aient pas besoin les jeter à la poubelle et que l'on avait
plus qu'ébouillantés à 130°C pendant 20 minutes dans des autoclaves sous
une pression de plus de trois atmosphères et une surveillance des autorités
sanitaires des plus tatillonnes.
Nous voilà donc embarqués dans une de ces "usines à
gaz" qu'il nous faudrait mieux fermer tout de suite, avant même que
leur construction ne soit décidée dans la précipitation et mises en route
dans l'urgence. Songez que nous allons devoir incinérer chaque année 435.000
tonnes de farines de viande, 25.000 tonnes de farine de sang, 125.000
tonnes de farine de volailles, 28.000 tonnes de farines de plumes, 25.000
tonnes de farine de poisson, brûler 380.000 tonnes de graisses et de cretons,
disposer de 70.000 tonnes de poudre d'os, toutes denrées qu'il faudra
substituer par des produits qui auront une efficacité biologique moindre
et qu'il nous faudra importer, au moins jusqu'à soient mises en place
les mesures de correction promises. Au lieu d'une revalorisation, sans
aucun risque de jamais provoquer un seul cas de MCJ nouveau variant, que
l'on pourrait estimer à au moins 1,5 milliards de francs par an, nous
allons devoir en dépenser plusieurs milliards pour les déshydrater, les
transporter, les stocker (dans quelles conditions ?), inciter les industriels
à les détruire et acheter leurs remplaçants dans les rations. Un gaspi
inimaginable, du CO2 dans l'atmosphère et une pollution probable de notre
environnement (par de la dioxine?). Quant à la destruction des cadavres
des vaches mortes ou euthanasiées, ceux qui ont jamais assisté à la crémation
d'un parent ou d'un proche au crématorium du cimetière monumental à Rouen
ont une vague idée de la quantité de combustible qu'il faut brûler pour
réduire en cendres la pauvre carcasse d'un être rabougri par l'âge ou
la maladie. De quoi vous ôter l'envie d'imiter une telle disposition dans
la rédaction de vos dernières volontés, pour peu que la fibre écologiste
anime encore votre comportement !
Comme si cela ne suffisait pas, et certainement pour montrer
qu'après tout, ça n'allait pas si mal en France, gros plan sur la situation
de l'ESB en Europe, une carte de la CEE et un tableau difficile à lire
pour un non-initié, montrant bien les endroits où la maladie de la vache
folle avait sévi : essentiellement la Grande- Bretagne et l'Irlande du
Nord (plus de 180.000 cas cliniques, c'est-à-dire avec la constatation
de symptômes sur les animaux atteints, et ce depuis 1985, avec une pointe
de 37.500 cas pour la seule année 1992). Quelques centaines de cas au
Portugal et en Irlande du Sud, 333 en Suisse qui a aussi eu besoin d'en
inventer par un dépistage qu'elle semble avoir abandonné à présent en
raison des résultats "inespérés" obtenus, quelques dizaines
en France (moins de 200 depuis l'origine, dont la moitié grâce à un dépistage
systématique sur les cadavres ou les animaux euthanasiés), opération dont
on peut questionner l'intérêt et l'opportunité, et dans chacun des autres
pays d'Europe où, même si un certain laxisme dans la recherche de l'incidence
véritable état de la maladie a été constaté, la situation réelle n'a vraiment
rien à voir avec ce qui s'est passé au Royaume-Uni durant la décennie
écoulée.
L'erreur, grossière et impardonnable pour des gens en responsabilité
de prendre les décisions adéquates, a été d'assimiler la situation prévalant
à l'heure actuelle en France (et en Europe aussi, hors les Iles Britanniques),
où nous allons constater quelque cent cinquante cas d'ESB dans une année
(dont la moitié est "inventée" par un dépistage, sans signes
cliniques nerveux avérés) avec celle qui existait alors en Grande-Bretagne
en 1992 où apparaissaient 100 cas cliniques d'ESB par jour ! Et nos décisions
devraient s'inspirer des résultats obtenus en ce moment dans ce pays où
l'ensemble de la population a été confronté à une épidémie probablement
générale, et où des millions de bovins consommés étaient probablement
en "incubation" de la trop fameuse maladie.
Cela a provoqué à ce jour la mort de 84 personnes du fait
du nouveau variant de la MCJ, au cours des six années écoulées et, n'en
déplaise à notre Cassandre récidiviste de Ministre de la Santé, je doute
plus que très fort de ses prédictions quant aux dizaines de cas qu'elle
nous a promis dans son intervention dont l'à-propos valait bien celle,
solennelle celle-là, de notre Président ! Il semble bien que les nouveaux
cas décelés au Royaume-Uni au cours des trois dernières années plafonnent
autour d'une vingtaine par an, et l'analyse des décès constatés à ce jour
a montré que 8 des 84 cas constatés, soit 10%, se sont produits dans deux
villages distants seulement de moins de 100 miles l'un de l'autre. Cela
mérite bien une enquête approfondie que font d'ailleurs les services anglais
de santé sur cette bizarrerie...
Depuis la création de l'Agence Française de Sécurité des
Aliments, voulue en 1999 par l'exilé de Pristina avant son départ, essentiellement
pour faire en sorte que le contrôle des denrées alimentaires d'origine
animale ne soit plus uniquement du ressort du Ministère de l'Agriculture,
il s'est développé chez les consommateurs français une méfiance inhabituelle
vis à vis de la qualité des denrées alimentaires dans un pays réputé pour
sa gastronomie et son art de cuisiner avec des matières premières, dont
la qualité n'avait pas à être mise en suspicion jusque là, l'inspection
des denrées d'origine animale ayant été mise en place depuis belle lurette,
faite, et plutôt bien faite, par des vétérinaires diplômés, tous titulaires
d'un doctorat vétérinaire passé dans une faculté de médecine, devant un
jury présidé par un professeur de Médecine, lui-même médecin !
Il est désolant de voir comment les organismes gouvernementaux,
DGAl, DGS et DGCCRF, dépendances des ministères de l'Agriculture, de l'Economie
et des Finances et du Secrétariat d'Etat à la Santé ont agi pour la "sécurité
sanitaire et alimentaire". Il est vrai qu'avec un tel libellé, l'AFSSA,
cette création dépendante de trois ministères de tutelle présentait dès
le départ un handicap lié à cette triple dépendance. C'est dévoiler un
secret de polichinelle que de parler d'obscures rivalités entre services
dépendant de ministères différents, dont l'aire de compétence n'est pas
toujours bien définie et dont le penchant naturel est d'empiéter sur le
domaine du voisin. On l'a vu à l'occasion d'une "crise" ou d'une
"épidémie" au cours des récents mois. Les déclarations plus
que moins contradictoires de Mesdames Gillot et Lebranchu, et de Monsieur
Glavany ne plaidaient pas toujours par excès de concertation et de recherche
d'un consensus dans ce qu'il y avait lieu de déclarer au public. Tout
cela au principe de précaution et à la volonté de la transparence, qui
fait mettre sur le tapis des hypothèses sur lesquelles ceux que l'on gratifie
du terme générique de "scientifiques" ne sont pas encore d'accord.
Comment voulez-vous que le consommateur lambda y trouve
sa religion, quand il s'agit de faire un choix raisonnable ?
Sur une perception confuse de ne pas mettre dans leur caddie
les denrées qu'ils espèrent, en raison d'une production intensifiée qu'ils
sentent facteur de diminution de la qualité, et sur le souvenir du goût
perdu des plats que leur cuisinait (mijotait) leur maman, nos compatriotes
ont été bombardés depuis la création de l'AFSSA de toutes sortes de communiqués,
d'alertes, de retraits de la consommation médiatisés comme il n'est pas
imaginable. Il s'est établi dans leur esprit une situation d'inquiétude,
pour ne pas parler de psychose, sur la qualité, puis sur la sécurité de
ce qui arrive dans leurs assiettes.
Pour mémoire, et si vous le désiriez je pourrais détailler,
depuis janvier 1999, ils ont "enduré" au moins vingt alertes
à la listeria sur les fromages au lait cru (époisses X, camemberts Bertrand,
Lepetit, Domaine de Saint-Loup, Saint Félicien, Munster de chez Haxaire,
Maroilles de je ne sais plus qui, Livarot de je ne sais plus d'où, Mont
d'Or, Raclette, etc, etc... Puis ils ont "épuisé" le feuilleton
des poulets et des fus à la dioxine qui a en fait touché, sans faire aucune
victime, essentiellement la Belgique, mais qui a été largement amplifiée
par ce qui se passait en réalité chez nous du fait de l'existence en Eure-et-Loir
d'une filiale d'une société belge ayant reçu un seul camion de graisse
incriminée en provenance des fournisseurs accusés là-bas et dans les aliments
duquel on n'a finalement pas trouvé de déchets toxiques. Mais cela été
à l'origine d'une crise très grave du poulet dans notre pays.
Puis il y a eu le fameux feuilleton du coca glacé, "toxique",
dont des écoliers belges s'empiffrèrent un jour de canicule, au point
d'en avoir mal aux tripes et qui a abouti à la fermeture de l'usine d'embouteillage
de Dunkerque, pendant je ne sais combien de semaines, sans qu'on ait finalement
pu apporter d'explication sérieuse à un incident logique quand on boit
trop d'un breuvage trop glacé un jour où il fait un peu trop soif !
Passant sur l'épisode de l'éventualité d'interdire"
la commercialisation des huîtres des parcs menacés de pollution à la suite
du naufrage de l'Erika quelques jours avant Noël, nous avons eu droit
à la rocambolesque "bouffée épidémique de listériose", du début
de l'année sur des rillettes, bientôt remplacées par des "langotines"
de porc, pour se terminer par un non-lieu discret le 25 mars, où on nous
a annoncé la fin officielle de l'épidémie qui avait fait une dizaine de
morts, dont 5 prématurés ou avorton de moins de 6 mois de grossesse, et
au moins quelque vieillards greffé du cur ou du rein sous traitement
immunodépresseur.
L'affaire de la vache folle en cours aurait dû n'être qu'un
"non-événement", n'avaient été les agissements de l'administration,
de la justice et des médias qui ont mis en place les ingrédients d'une
mayonnaise qui est passée par dessus les bords du récipient dans lequel
on la préparait. Les conséquences en sont catastrophiques pour l'élevage
de notre pays, une partie essentielle de ce qu'il est coutume de considérer
comme "notre pétrole vert". Les Français se voient, après la
destruction de la moitié de leur patrimoine fromager au cours des dix-huit
mois écoulés, condamnés à l'absentéisme volontaire de consommation de
bifteck (beefsteack pour les étymologistes), après avoir été interdits
de saucisson à l'ail embossé dans un boyau naturel de buf hexagonal,
puis de ris et de tête de veau, d'entrecôtes à l'os et de T-bone steak
au principe (exacerbé) de la précaution de ne pas attraper une maladie
encore très hypothétique, pour l'incidence de laquelle les Cassandre auront
toujours raison, qui prévoient pour l'Angleterre entre 63 et 500.000 morts
de la nvMCJ, dans ce pays où, en 1992, on dénombrait 100 cas cliniques
d'ESB (ou plutôt de BSE) par jour (alors que nous en sommes à moins de
100 cas par an, si l'on excepte les "trouvailles" des examens
en cours sur les animaux morts ou euthanasiés, dont on peut toujours contester
l'opportunité et le bien-fondé !).
Nous vivons dans un pays de gens qui marchent sur la tête,
trouble qui a des conséquences imprévisibles sur l'état psychique de ceux
qui sont affectés de cette particularité. Ajoutons-y le manque de courage
politique de dirigeants qui ne pensent qu'à refiler le mistigri de la
décision à des "scientifiques" qui ont formé petit à petit un
"groupthink", une pensée unique, attachée à une doctrine officielle
et qui écarte du raisonnement les données qui ne sont pas en concordance
avec l'opinion "actuelle", avec un comportement de pétochards
qui ont la phobie de se trouver dans une sale histoire du type "sang
contaminé". Leur érudition devrait pourtant les rassurer, vu que
l'histoire ne se répète jamais.
Quand j'entends certains discours, je me crois plongé dans
l'obscurantisme de l'époque où Pasteur combattait le "spontanéisme"
avec les conséquences qui en découlèrent. Car il doit bien y avoir une
autre explication à la "spontanéité" de l'apparition des prions
pathologiques dans notre conception actuelle du déterminisme de la "reproduction".
Il faut que nos politiques retrouvent le sens des responsabilités,
prennent des risques de se tromper de bonne foi, ne se réfugient pas dans
la "précaution", pas plus que dans une "transparence angélique".
La foule a besoin de sécurisation, de "paternalisme", parce
qu'elle ne sait, ni ne peut juger sereinement de situations dont elle
ne perçoit la réalité que par un tout petit (tout petit-petit !) bout
de la lorgnette.
Il est vrai que ce n'est pas tâche facile. Nos contemporains
sont la cible quotidienne de médias dont l'audience est conditionnée par
"le scoop", la toute dernière information, celle qui interpelle,
ou indigne, ou émeut, ou fait peur. Le journalisme, contrairement à nombre
d'autres professions en position de "suprématie", d'autorité
non contestée par rapport au public, est une des rares professions libérales
qui ne soit pas régie par un code de déontologie, sous le contrôle des
représentants élus d'un "ordre" professionnel. La seule, peut-être
! Dans ces conditions, responsable ? Possible. Coupable? Jamais !
Malgré une éthique personnelle que l'on peut reconnaître
à nombre d'entre eux, qui leur interdit de rapporter des informations
non vérifiées, il arrive que les plus objectifs soient induits en erreur.
Et notre "énigme de la 13 vache" est le type même d'événement
qui peut prendre de court le plus exigeant des informateurs de l'actualité.
A condition qu'il ne l'assortisse pas de ses commentaires, reflet de sa
perception personnelle de la situation .
Il est évident que les propos du procureur de Bernay, relayés
par une autorité aussi indiscutable que le préfet de l'Eure Klinger encore
à Evreux ce jour-là, avaient de quoi faire gamberger les pigistes. Pensez
:
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