RÉGIONS :
Retombée de
la vache folle: les abattages clandestins se multiplient
Date de parution: Vendredi 15 décembre 2000
Auteur: Laurent Busslinger
VAUD.
Les farines animales interdites, le coût de l'élimination des déchets
carnés a décuplé. Conséquence: à Savigny, des os de bovin ont été trouvés
dans la forêt Pour faire face, les abattoirs industriels réclament l'aide
des pouvoirs publics. Les dépenses s'annoncent colossales et le dossier
sera soumis mercredi au Conseil fédéral
C'est un Rocky frétillant d'aise
qui est rentré mercredi de son escapade matinale dans un bois de Savigny.
Dans sa gueule, le bâtard à poil noir tenait une magnifique tête d'os,
encore sanguinolente mais très proprement sciée, probablement détachée
d'un fémur de bovin, et qu'il s'est immédiatement mis à ronger consciencieusement.
Sa maîtresse, Jeanine Jacques, solide grand-mère demeurant dans une villa
en lisière de forêt, a trouvé la chose moins réjouissante: «Le chien sait
qu'il n'a pas à aller seul en forêt, mais s'il sent ce genre d'odeur,
comment le retenir? Je trouve surtout désolant de voir la nature utilisée
comme dépotoir, juste par commodité et pour s'éviter de payer quelque
chose». Conscient du courroux, Rocky s'est bien gardé de désigner l'endroit
précis de la découverte de son trésor, lequel peut se trouver n'importe
où dans cette futaie aisément accessible, parcourue de petites routes.
Jeanine Jacques, elle, est fâchée. Ce n'est pas sa première trouvaille
du genre, et la police, déjà alertée une fois n'a pas voulu intervenir.
«C'est le genre d'attitude qui a toujours existé, mais qu'il faut s'attendre
à voir se répandre de plus en plus», déplore René Aebischer, vétérinaire
et responsable des abattoirs de Clarens. Et pour cause. Avec l'affaire
de la vache folle et l'interdiction programmée de nourrir des animaux
de rente au moyen de farines animales, la porte d'un débouché commode
pour les déchets carnés s'est brusquement fermée. Du coup, les prix d'élimination
de ces déchets ont pris l'ascenseur, doublant pour la plupart des abats,
et décuplant même pour les os, désormais tarifés à 53 centimes le kilo
au lieu de quelques centimes voilà un mois. Or, les os à eux seuls représentent
20% du poids d'une bête, et il faut au moins compter autant pour les autres
déchets. «Sur une vache, on peut estimer le surcoût lié à l'interdiction
des farines animales aux environs de 80 francs», calcule Ueli Gerber,
directeur de Suter Viandes à Villeneuve. Trop pour certains amateurs,
qui débitent artisanalement «pour leur cercle familial», et qui préfèrent
donc confier les restes à la forêt, en toute illégalité. «C'est le résultat
d'une politique mal pensée, où l'on a interdit avant de savoir que faire
de ces déchets, et sans se soucier du coût de leur élimination», tempête
René Aebischer. «Tout est allé tellement vite» Car la filière est en crise.
Faute de fours capables de brûler directement les déchets de boucherie,
les usines de retraitement continuent à en faire de la farine, laquelle
ne nourrit plus aucun animal, mais doit servir de combustible aux cimenteries
(Le Temps du 8 décembre). L'ennui c'est que ces dernières sont loin d'être
toutes capables d'utiliser ce nouveau matériel de chauffage. Alors il
faut stocker. Pour les farines d'os, dont la teneur en phosphore est trop
élevée pour les cimenteries, c'est encore plus difficile. En attendant
éventuellement d'arriver à les éliminer dans les fours des papeteries,
tout est stocké, et l'ordre de grandeur est de 400 tonnes par semaine.
Naturellement, tout cela coûte cher. En passant du rang de complément
alimentaire à celui de combustible, les sous-produits d'abattage ont aussi
énormément perdu de leur valeur. Pour compenser, les usines de fabrication
de farine ont facturé la différence aux abattoirs. «Jusqu'ici la branche
a fait le gros dos, elle n'a pas répercuté ces surcoûts sur les consommateurs»,
précise Ueli Gerber. En fait, tout est allé tellement vite qu'elle n'a
pas eu le temps de le faire. Prévue pour le 1er mars de l'an prochain,
la fermeture du marché domestique des farines est devenue de fait immédiate,
tant sont grandes les inquiétudes ambiantes. Dans ce désordre, c'est alors
vers les autorités politiques que tous les regards convergent: «Nous essayerons
de baisser les tarifs le plus vite possible à un niveau raisonnable par
le biais de contributions publiques», promet Centravo dans le courrier
adressé le 1er décembre à ses fournisseurs de déchets. Pascal Couchepin
semble avoir entendu. Il fera mercredi prochain au Conseil fédéral «une
proposition qui comportera un volet financier», comme le disent ses services.
Le contribuable n'a qu'à bien se tenir, le montant officieusement évoqué
atteint plusieurs dizaines de millions.
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