Des métaux dans le crâne !
Traduit du New Scientist du 26/8/2000 par le Docteur Maurice
LEGOY
Vous ne saviez pas que votre cervelle était remplie de métaux.
D'après Jonathan Knight, c'est vital pour vous, mais si ce n'est pas bien
contrôlé, ce peut être dévastateur.
Un prospecteur de minerai pourrait croire qu'il approche
d'un bon filon. Car enfouie sans danger dans les matières grise et blanche
de votre cerveau dans des pépites de protéine, il y a une quantité surprenante
de métal. En réalité, le cerveau humain contient à peu près 6 milligrammes
de cuivre, assez pour confectionner un petit circuit imprimé. Le zinc,
le fer et le manganèse s'y trouvent aussi en quantité.
Il y a des décennies que nous connaissons la présence des
métaux dans notre corps, et en particulier dans notre cerveau. Mais ce
n'est que très récemment qu'on a cessé de les considérer simplement comme
des "oligo-éléments," et qu'on a commencé à se demander ce que
diable ils pouvaient bien y faire. "Considérer le cuivre et le zinc
comme de simples oligo-éléments est tout simplement idiot" déclare
Ashley Bush, psychiatre à l'Unité de Vieillissement et de Génétique de
l'Hôpital Général du Massachussets à Charlestown. " Le cerveau accumule
les métaux comme aucun autre organe de notre corps". A quelle fin
?
Tout d'abord, notre cerveau ne fonctionne pas correctement
sans les métaux. Nombre de neurones libèrent du zinc, du cuivre ou du
fer lors de la transmission de l'influx nerveux au niveau des synapses.
En fait, le cyanure tue en éliminant le cuivre des synapses. Les jeunes
rats, nourris avec des régimes pauvres en fer, ont des difficultés d'apprentissage
et les vieillards présentant une carence en zinc semblent plus sujets
que d'autres à la démence sénile. Quand ils s'unissent à des protéines
antioxydantes, le cuivre et le fer neutralisent les radicaux libres en
"épongeant" les électrons. Et quelquefois, les cellules libèrent
du zinc pour combattre les infections.
L'an dernier, on a découvert un côté plus sinistre de métaux
- un Yin à leur côté Yang antioxydant. Un nombre croissant de chercheurs,
Bush entre autres, suspectent à présent les cellules de mal "manipuler"
les métaux au niveau du cerveau, et d'être responsables de troubles neurologiques
tels que la maladie d'Alzeimer, la maladie de Parkinson et les maladies
dues à un prion. S'il a raison, cela modifiera complètement la façon de
voir des scientifiques pour ces maladies et la manière de faire pour essayer
de les guérir. "Je pense qu'il y aura un véritable renversement de
marée", conclut Bush, mais ce ne sera pas facile de faire la preuve
de ces idées.
Tout a commencé au début de la carrière de Bush, alors qu'il
étudiait le problème de l'apparition de "plaques séniles" dans
la cervelle des vieillards atteints de la maladie d'Alzeimer. Ces "grumeaux"
(clumps) de protéine s'accumulent à l'extérieur des neurones atteints
de la maladie dans les zones du cerveau abritant les fontions cognitives
nobles telles que le jugement et la mémoire. Il eut la chance de localiser
que le premier composant d'une plaque, une petite protéine appelée Ab,
se lie au zinc et au cuivre, et que la cervelle des patients morts de
la maladie d'Alzeimer contenait 3 fois plus de cuivre, de zinc et de fer,
concentrés essentiellement au niveau des plaques.
Pour voir si un métal quelconque pouvait être impliqué dans
la formation des plaques, Bush et ses collègues mélangèrent la protéine
Ab au laboratoire avec différents ions, et la laissèrent former des "grumeaux"
(clumps). Ils y ajoutèrent alors un chélateur, substance qui "éponge"
les métaux. "Les grumeaux disparurent presque aussitôt, à la vitesse
à laquelle nous pouvions faire les mesures" déclare Bush. Ils firent
la même expérience sur une purée de cerveau d'un patient mort de la maladie
d'Alzeimer. A nouveau, les plaques disparurent comme sucre dans l'eau
chaude.
Pendant de longues années, les plaques avaient semblé être
la cause la plus logique de la folie d'Alzeimer. Des dizaines de labos
avaient ainsi montré que la protéine Ab était toxique pour les neurones,
et les personnes génétiquement prédisposées à la maladie d'Alzeimer, celles
en particulier porteuses du gène ApoE4, développaient plus de plaques
dans leur plus jeune âge. Des souris génétiquemen modifiées pour fabriquer
de grandes quantités de protéine Ab contractèrent la plupart des symptômes
de la maladie, avec présence de plaques. Et les travaux de Bush donnaient
à penser que les métaux pouvaient favoriser la formation des plaques.
Toutefois, il lui parut vite évident que ce n'était pas là le fin mot
de l'histoire. Dans certains cas, les malades les plus fous se révélèrent
ne porter que quelques plaques.
En 1986, Colin Masters, Pathologiste à l'Université de Melbourne,
avait suggéré que la maladie d'Alzeimer pouvait être due à un stress oxydatif
- des électrons en excès rebondissant sur certaines molécules et provoquant
des dégâts dans les cellules. Six années plus tard, le groupe de Pappola
à l'Université de South Alabama à Mobile découvrit des quantités anormales
de protéines antioxydantes dans la cervelle des patients atteints de la
maladie d'Alzeimer, surtout autour des plaques. A présent, Masters et
Pappola and Al. considèrent les plaques plutôt comme un "monument"
témoin des batailles ayant eu lieu dans le cerveau suite à un stress oxydatif
plutôt que la cause des dégats. "La plaque est comme une pierre tombale"
dit Pappola.
Finalement, en décembre 1999, un groupe de chercheurs, comprenant
Bush et Masters, tira la conclusion que les deux théories pouvaient concorder.
Ils trouvèrent que, quand la protéine Ab se lie avec le cuivre, elle peut
donner lieu à des ravages (Journal of Biological Chemistry, vol 274, p
37111) produisant de grandes quantité de peroxyde d'hydrogène et provoquant
la mort des cellules.
Ce qui amène aussitôt une autre question. Nos cellules fabriquent
en permanence de la protéine Ab, et le cuivre est toujours disponible.
Si cette petite protéine est si dangereuse, comment se fait-il que nous
ne contractions pas tous la maladie d'Alzeimer ? Bush pense que la réponse
est dans le fait qu'elle ne devient vraiment dangereuse que lorsque la
situation chimique de la cellule lui permet de fixer trop de cuivre. A
l'état normal, la protéine Ab est sans danger, et même bénéfique.
Cela peut paraître étrange, mais il y a cinq ans, des mutations
d'une protéine baptisée SOD1 ont été liées à la sclérose latérale amyotrophique
familiale - maladie génétique des neurones de la motricité. SOD1 fait
partie d'une famille d'antioxydants très puissants. SOD1 se lie au cuivre
et au zinc, et elle utilise les métaux pour éponger les électrons, afin
d'empêcher la formation du peroxyde (O3), une forme réactive dangereuse
de l'oxygène. Mais on n'a pas à ce jour montré clairement comment les
protéines mutantes pouvaient provoquer la maladie. Dans les tests effectués
en laboratoire, certaines de ces protéines se sont montrées aussi efficaces
pour éponger la forme péroxydée que la forme normale.
Pourtant l'an dernier, une équipe de biochimistes dirigée
par Joseph Beckman à l'Université de l'Alabama, à Birmingham, a découvert
que SOD1 normale fixe 50 fois plus de zinc que l'une des 5 versions testée
de la variante. Et de toute façon, en l'absence de zinc, le cuivre fixé
sur SOD1 "volait" des électrons à d'autres molécules 3.000 fois
plus vite que ne le fait SOD1 normal. Beckman pense que cette suite d'évènements
puisse être à l'origine de la maladie, en raison du fait qu'un excès de
peroxyde provoque la formation de peroxynitrites, ce même poison qui est
utilisé par les neurones moteurs en excès ou endommagés pour s'auto-détruire.
Bush pense que Ab pourrait être, à l'instar de SOD1, un
antioxydant protecteur de la cellule quand elle contient du cuivre et
du zinc en quantités normales, mais un dangereux oxydant lorsque le zinc
manque. Il a découvert des parallèles assez significatifs. Ab détruit
les peroxydes et, comme SOD1, elle fixe plus volontiers le cuivre que
le zinc. Mais Bush a montré qu'en ajoutant du zinc, simulant ainsi sa
libération par la cellule en cas de menace, il stoppe les dégâts oxydatifs
que Ab cause, à savoir les grumeaux qui sont assimilables aux plaques.
Tout cela "colle" singulièrement avec la découverte
d'une nouvelle forme de protéine Ab encore plus toxique, il y a quelques
années. La protéine Ab normale dans le corps est une chaîne de 40 aminoacides
(Ab40). Mais la cervelle des patients de la maladie d'Alzeimer "est
envahie" par une forme un peu plus longue, l'Ab42. Cette forme est
plus toxique. Et il se trouve qu'elle se fixe au cuivre beaucoup plus
solidement que l'Ab40, et qu'elle est plus efficace pour fabriquer du
peroxyde d'hydrogène. Mais il y a un truc : avec un équilibre convenable
en zinc, Ab-42 est un meilleur antioxydant. Ainsi, déclare Bush, l'enzyme
qui est à la base de la production de Ab42 peut avoir évolué dans le but
d'assurer une meilleure protection contre les dégats provoqués par l'oxydation.
On peut schématiser de la façon suivante :
Ce qui est bon : cerveau en bonne santé
protéine Ab+cuivre+zinc ----) peroxyde ----) oxygène + un
peu de péroxyde d'hydrogène qui est facilement détruit par d'autres enzymes
Ce qui est mauvais : cycle dans la maladie d'Alzeimer
protéine Ab+ cuivre-zinc ----) trop de peroxyde d'hydrogène
pour que les enzymes de la cellules puissent le détruire ----) dégâts
dans la cellule avec libération d'antioxydants à l'extérieur, en particulier
la protéine Ab qui se lie au zinc ionisé et qui s'accumule sous forme
de plaques.
Le tableau de la maladie d'Alzeimer émergeant de tout cela
est un effet boule de neige. Nous abritons de la protéine Ab dans toutes
les cellules de notre corps tout au long de notre existence, mais à un
moment donné, elle commence à s'accumuler dans notre cerveau. Peut-être
une partie de cette protéine n'arrive-t-elle pas à fixer convenablement
le zinc et elle provoque quelques dégaâts suite à une oxydation. Pour
réagir, les neurones fabriquent plus d'antioxydants,y compris de la protéine
Ab. Celle-ci, en particulier celle qui a la plus grande longueur, provoque
encore plus de dégâts oxydatifs. "C'est un cercle vicieux",
déclare encore Bush. "Une fois que Ab s'est transformé d'antioxydant
en pro-oxydant, il peut s'engendrer lui-même".
Mais qu'est-ce qui fait que la boule de neige se mette à
rouler? L'acidité pourrait en être la cause. Le manque d'oxygène provoque
un état appelé acidose, lorsque le métabolisme en anaérobiose se met en
route. C'est le même phénomène que celui qui apparaît lors d'un exercice
physique violent. Quand une personne vieillit, les occasions qui peuvent
provoquer une légère acidose sont la cause de fréquentes attaques légères,
chutes de pression sanguine, infections et même blessures à la tête. Et
quand leur pH baisse, le zinc ne se lie plus du tout à la protéine Ab."C'est
là notre hypothèse numéro 1", déclare Bush.
Les prédispositions génétiques peuvent très bien figurer
dans ce tableau. ApoE par exemple est une protéine qui fixe le cuivre.
On connaît peu de choses à propos du rôle fixateur des protéines pour
les métaux, sauf que cela semble aider à protéger les cellules contre
les dégâts oxydatifs. L'ApoE4, celle qui est associée à la maladie d'Alzeimer,
est la pire dans la fixation du cuivre.
Ce scénario, façon Dr Jekill et Mr Hyde, se reproduit dans
tout le champ des maladies neurodégénératives. Par exemple, dans les maladie
à prion, que ce soit dans l'ESB, la tremblante du mouton ou la maladie
de Creutzfeldt-Jacob, une forme insoluble de la protéine prion normale
(PrP) se met à former des "grumeaux" dans la cervelle. Ce que
nombre de chercheurs affirment être la cause de la mort des neurones,
mais ce que personne ne sait exactement.
C'est alors qu'un chercheur de Cambridge, le Docteur David
Brown, biochimiste à l'Université a montré que le PrP peut agir comme
antioxydant quand le cuivre est fixé. Les cellules contenant duPrp sont
bien connues pour leur résistance au stress oxydatif. Ces résultats amènent
à donner un tableau de la maladie de la vache folle différent de la théorie
brute actuelle, selon Bush : " Je pense que ce qui conduit à la mort
des neurones dans les maladies à prion, c'est la perte d'une action antioxydante".
Au tout début de cette année, Bronwn a découvert que le
prion PrP ne fixait pas seulement le cuivre, mais aussi le manganèse.
Et quand cela se produit, il perd son activité. Les enzymes qui digèrent
le prion normal PrP sont incapables de digérer celui qui a fixé du manganèse,
caractéristique remarquable de la forme de la maladie (The Embo Journal,vol19,
p1180). Ainsi, il paraît que les métaux puissent avoir à voir avec les
maladies à prion elles aussi.
Voilà qui est une bonne nouvelle pour Mark Purdey, cet agriculteur
du Somerset avec une formation de biochimiste, qui au cours des 10 années
passées a réalisé les analyses du sol, de l'eau et de la végétation de
plus d'une douzaine de métaux sur les sites où se trouvent des cas groupés
de maladies à prion dans le monde entier, y compris en Islande, en Slovaquie
et au Colorado. Seul un métal se retrouvait en permanence de façon constante
en quantité surabondante dans les régions frappées par la maladie : le
manganèse. "J'ai vraiment été soufflé par les travaux de Brown",
confie Puyrdey. "J'ai lu son article après l'analyse des sols que
j'avais étudiés et j'ai pensé que les deux choses mises bout à bout expliquaient
ce qui se passait".
Purdey est en train d'analyser les sols dans le Leicestershire,
près de la ville de Queniborough, où un groupe du variant de la maladie
de Creutzfedt-Jacob a récemment été constaté. (New Scientist, 22 juillet,
p3). Les analyses ne sont pas encore terminées, mais il a déjà localisé
une source possible de métal dans un affleurement d'une strate du Précambrien
qui, d'après lui, contient du manganèse. Est-il possible que l'exposition
chronique au manganèse puisse accroître le risque de maladie à prion ?
"Ce n'est absolument pas prouvé" répond Brown. "Il y a
de la maladie de Creutzfeldt-Jacob partout dans le monde. Mais s'il y
a quelque facteur en rapport avec l'eau ou des tuyaux, ce pourrait être
un point de convergence."
Tout cela risque d'amener les gens à se poser la question
de savoir s'il doivent se débarrasser de leurs ustensiles en cuivre ou
éviter d'absorber des aliments riches en manganèse. Et cela va certainement
relancer la polémique à propos de la relation entre l'aluminium et la
démence. Ce n'est pas nécessaire, dit Bush. Les expériences faites sur
animaux de laboratoire montrent qu'un aliment chargé en fer ou en zinc
n'a pas d'effet sur la teneur de ces métaux dans le cerveau, malgré une
teneur élevée dans le sang. La barrière du cerveau les empêche d'y pénétrer.
Ce qui pourrait faire la différence, selon Bush et Brown,
c'est la durée de l'exposition à des taux élevés de métal, mais il n'y
a aucune donnée pour ou contre. Si c'est vrai, le risque est faible. Même
dans les zones de Slovaquie où les gens se trouvent continuellement exposés
à des teneurs élevées en manganèse, le risque de maladie n'est que de
un pour mille.
Mais la théorie ne veut pas dire que la prévention et le
traitement des maladies cérébrales puissent être aussi simple que d'éponger
les métaux. Un chélateur du cuivre fabriqué par Prana Technologies à Melbourne
est maintenant dans une première phase d'essais cliniques, après des résultats
prometteurs sur souris. Des antioxydants, comme la vitamine E, sont déjà
considérés comme ralentissant le développement de la maladie d'Alzeimer
à son début, mais les chélateurs s'attaquent à la source de la maladie.
Ils ont un potentiel important dans la sclérose amyotrophique latérale
et dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeld-Jacob.
Les preuves de la liaison entre métaux avec plusieurs autres
maladies commencent à se mettre en place. Dans la maladie de Parkinson,
des dépots ferrugineux ont été découverts dans les cellules pigmentaires
du locus niger. Et le fer semble provoquer l'agglomération d'une
protéine spécifique de la maladie. La mutation d'une protéine dans l'ataxie
de Friedrich empêche la sortie du fer des mitochondries, ces centres cellulaires
de production d'énergie, en en privant les neurones. Et la cataracte se
développe lorsque les protéines alpha-cristallines du cristallin deviennent
"cross-linked", sous l'influence possible d'un peroxyde produit
par le cuivre.
Ironiquement, si Bush a raison, les traitements de la maladie
dAlzeimer, reposant sur l'idée que les plaques sont la cause de la maladie,
ne marcheront pas. Par exemple, l'anticorps contre la protéine Ab fabriqué
par Elan Pharmaceuticals, près de San Francisco, dissout les plaques chez
la souris. Mais si elles ne sont que pierres tombales, cela n'aura pas
d'effet sur l'évolution. Bush a conscience que ses travaux ne vont pas
changer les stratégies dans les traitements du jour au lendemain. "Je
souhaite que l'approche faite par Elan puisse marcher," avoue-t-il.
Cela semble logique, alors que l'idée qu'un antioxydant puisse être néfaste
lui aussi est "anti-intuitive".
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